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Plongée dans le passé : à la découverte des anciens styles de bières artisanales de Valence

11/10/2025

Un passé brassicole discret mais riche dans la Drôme

Valence, ville carrefour longtemps connue pour ses marchés et son art de vivre, n’a (hélas !) jamais rivalisé avec les grandes places brassicoles françaises comme le Nord ou l’Alsace. Pourtant, à qui sait fouiller dans les archives, la mémoire de la bière valentinois offre de belles surprises, entre traditions perdues et renaissances artisanales.

Avant l’arrivée de la vague des microbrasseries des années 2010, Valence abritait déjà plusieurs brasseries locales, et produisait des styles de bières aujourd’hui souvent méconnus. Quels étaient donc ces styles, et comment la palette brassicole locale a-t-elle évolué au fil du temps ? Petite mise en mousse…

La brasserie artisanale à Valence avant le XXe siècle : quand la bière suivait les saisons

D’après les archives municipales et celles du Musée de Valence, au XIXème siècle, la ville comptait jusqu’à une douzaine de petites brasseries familiales, actives pour la plupart entre 1830 et 1914 (base Mérimée, Ministère de la Culture). La bière, alors loin d’être la boisson numéro un dans une région de vins, était brassée de façon artisanale et selon les ressources locales.

  • Des bières « blondes » inspirées des styles de fermentation basse, importés d’Alsace et de Bavière.
  • Des bières « russes », sombres et denses, destinées traditionnellement à soutenir les ouvriers et les militaires de passage (la garnison de Valence n’étant pas négligeable au XIXe siècle).
  • Des bières dites « de garde », souvent plus maltées, parfois refermentées, élaborées pour obtenir une bonne conservation pendant les mois d’hiver.

La saisonnalité dictait tout : le brassage s’effectuait à l’automne, quand la fraîcheur permettait de contrôler la fermentation, et l’eau du Rhône était centrale dans le profil de ces bières (source : Brasseries et bières en Rhône-Alpes, Presses Universitaires de Rennes).

Blondes, brunes, bières rustiques : quels styles dominaient vraiment à Valence ?

Loin des IPA modernes ou des goses acidulées, le passé brassicole valentinois s’organise autour de styles simples mais robustes.

Les blondes de fermentation basse

Sous l’influence d’Alsaciens ou de brasseurs de passage, nombre de brasseries valentinois du XIXe adoptaient la fermentation basse (à températures fraîches, grâce à des caves ou de la glace hivernale). Les « blondes légères » obtenues ressemblaient à des lagers sans la finesse industrielle actuelle : trouble, pain frais, un houblon discret.

  • Taux d’alcool modéré (3 % à 4,5 %)
  • Assez peu amères, car le houblon local restait rare
  • Un malt dominant, parfois légèrement caramélisé

Les « brunes russes » et bières foncées

Moins connue, la tradition (modeste) des « bières de type russe » à Valence est attestée dans plusieurs annonces et publicités d’époque : il s’agissait de bières brunes, proches des stouts ou porters légers, nourrissantes et disponibles l’hiver dans les cafés proches de la gare ou du centre. Leur recette variait, mais elles offraient :

  • Une robe sombre, tirant sur l'acajou et le brun profond
  • Des saveurs de céréales grillées et de caramel
  • Un taux d’alcool plus élevé que les blondes (4,5-5,5 %)
La proximité des voies ferrées encourageait les échanges de recettes et de malts venus de Lyon ou Marseille (cité dans « Bières, brassage et brasseurs en Drôme-Ardèche » de F. Chapelle).

Quelques bières atypiques : saison, garde, et cie

Moins diffuses mais attestées : des bières de « garde » (stockées en fûts plusieurs mois) s’imposaient dans quelques brasseries de la campagne valentinois, héritières directes des traditions de Savoie et du Dauphiné. Elles accompagnaient les fêtes (kermesses, baillargeades, passage des compagnons du tour de France) et possédaient les caractéristiques suivantes :

  • Une plus forte carbonatation (effervescence « sautillante » signale un visiteur suisse en 1892)
  • Des notes fruitées en raison du développement de certaines levures sauvages
  • De l’orge et parfois du seigle local dans la recette, selon les stocks agricoles

Quantités produites et chiffres-clefs : brasser, oui, mais pour qui ?

Contrairement à Nancy ou Lille, Valence ne produisait pas des millions de litres annuels, mais ses brasseries faisaient vivre des dizaines de familles et animaient la sociabilité locale.

  • A la fin du XIXe, on recense 9 brasseries à Valence intra-muros (Archives départementales de la Drôme), produisant de 250 à 800 hectolitres par an chacune (chiffres estimés à partir des registres fiscaux 1881-1912).
  • Le pic a été atteint en 1902 avec près de 6 000 hl pour l’ensemble de la ville (à titre de comparaison, une microbrasserie moderne produit rarement plus de 1000 hl/an).
  • La brasserie Faure (avenue Victor Hugo), la plus célèbre, écoulait jusqu’à 70 % de sa production auprès des tavernes, du personnel des Chemins de Fer et d’associations sportives locales.

Ce sont surtout les cafés et estaminets de quartier qui passaient commande, pour des « bières au tonneau » sans embouteillage ni commercialisation large.

Pourquoi ces styles de bières se sont éclipsés à Valence ?

Plusieurs raisons se conjuguent pour expliquer la disparition de ces styles locaux après la Première Guerre mondiale :

  1. L’exode rural et la montée de l’industrie vinicole : la consommation de vins locaux (Clairette, côtes-du-Rhône) supplante la bière dans les habitudes populaires, surtout après la crise phylloxérique.
  2. L’industrialisation voile la scène petite-brasserie : les grands groupes rattachaient ou rachetaient les brasseries artisanales pour rationaliser la production (source : « Les brasseries françaises aux XIXe et XXe siècles», Ed. Larousse).
  3. Absence de tradition houblonnière locale : moins de disponibilité et de culture du houblon, donc moins d’innovation dans les recettes.

L’arrivée du chemin de fer et la domination de grandes brasseries industrielles (de Lyon ou Marseille) asphyxient le marché artisanal — la dernière grande brasserie valentinois (brasserie Dauphinoise) ferme ses portes en 1968.

Des anecdotes savoureuses autour des bières valentinois

La presse locale des années 1920-1930 réserve quelques perles sur la vie des brasseries.

  • Le Café du Louvre, place des Clercs, proposait en 1911 une « bière noire de Valence » — dont la mousse était si fameuse que les commerçants des Halles venaient en savourer un pichet à l’aube, avant d’attaquer leur journée (Le Valentinois Illustré).
  • En 1938, la mairie de Valence lance un avertissement public contre « la consommation excessive de bières de Noël» — signe que certaines traditions persistèrent brièvement entre les deux guerres.
  • L’histoire raconte qu’une brasserie de la rue Bouffier, dans les années 1890, était réputée pour servir ses bières « faites maison »… mais aussi pour élever des chèvres dans la cour, afin de recycler les résidus de brassage. Zéro déchet, déjà !

La renaissance moderne : redécouverte, ou réinterprétation ?

Depuis 2010, la vague des microbrasseries a remis Valence sur la carte des villes amatrices de houblon.

  • Presque aucun des styles « historiques » n’a été reconstitué à l’identique : on préfère désormais des créations inspirées des souvenirs de « bières de garde », mais revisitées (Brasserie du Drahth, Valence, 2021).
  • Blondes légères, ambrées douces et stouts « modernes » font revivre l’esprit rustique, mais avec plus de finesse grâce aux ingrédients premium du XXIe siècle.
  • Certaines brasseries de la région jouent la carte patrimoniale, intégrant orge drômois, houblons français et parfois même seigle paysan, dans l’esprit des recettes anciennes (MonValence.fr).

La bière à Valence, ce n’est donc pas qu’une nouveauté tendance, c’est aussi tout un pan d’histoire locale à (re)découvrir. Qui sait ? Une future « brune russe » ou une saison valentinois pourraient bien ressurgir un jour dans nos pintes…

Envie d’approfondir ? Quelques ressources pour curieux du passé brassicole valentinois

Le patrimoine brassicole de Valence est aussi méconnu que savoureux. Entre styles oubliés, anecdotes locales et envies de faire revivre le passé au fil des mousses, la bière a décidément plus d’un tour dans ses tonneaux. Santé !

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